Madmoiselle Charlie

Golden Globes Red Carpet Dresses

Mercredi 7 janvier 2015.

Rire et ne pas prendre ce monde trop sérieux au sérieux. À coup de crayons et de jeux de mots empreints de dérision, c’était l’arme sans prétention de ce cher Charlie, blessé, atrophié mais pas encore enterré. Jusqu’à ce triste jour du 7 janvier 2015 où ceux qui préfèrent la violence, les tirs, l’atrocité et la haine à l’art, à la liberté de penser, à celle de s’exprimer, aussi satiriquement soit-elle, au respect, au second degré, à l’humour, ont décidé de se laisser aller à leurs plus vils ressentis. La bassesse des plus faibles ne peut prendre le dessus qu’avec des balles. Mais la force des victimes et ce pour quoi elles se sont battues leur vie durant, elles, ne s’éteignent jamais.

Lundi 12 janvier 2015.

Les jours ont passé. Les nuits ont été longues. Sans raison concrète, aussi spontanément que le rassemblement du mercredi soir, crayons levés, regards meurtris et poings serrés, aussi naturellement qu’instinctivement, comme s’il fallait faire le deuil de proches alors que ceux qui nous ont quitté n’étaient ni notre famille, ni nos amis. Non, mais ils étaient nos frères. Qu’importe leur couleur, leur religion, leur appartenance sociale, qu’importe s’ils étaient connus ou anonymes. Ils étaient humains et libres dans leur choix et dans leur différence. Et ils sont morts pour ça.

Aujourd’hui je suis dans l’incompréhension la plus totale.
Face à mes proches, qui tiennent un discours laxiste que je ne conçois pas.
Face aux médias, qui diffusent des vidéos de propagande, placardent le cadavre d’une victime en Une de leur prochain numéro, contactent les terroristes pendant les prises d’otage – un peu comme on appèlerait un médecin pour comprendre la dernière pandémie en date.
Face aux médias, encore, qui divulguent des informations qui auraient pu être fatales à des otages aujourd’hui rescapés.
Face à des amis aussi, faussement concernés, qui se trouvent chacun une excuse pour ne pas descendre dans la rue au nom de la République. – « Oui, mais ils sont libres après tout ! C’est ça aussi la liberté ! », m’a-t-on alors répondu. Alors oui, restez libres mais les poings liés, chez vous, au chaud, derrière votre écran d’ordinateur, à arborer un « Je suis Charlie » en photo de profil Facebook qui s’autodétruira / s’autochangera au maximum dans 24 heures.
Face à des connaissances encore, dont on ne sait pas si elles sont tétanisées par la terreur, anéanties par le vide, prises en otage par leur putain d’égocentrisme. Qu’importe si les fusillades de Charlie Hebdo, Montrouge et de la Porte de Vincennes ont bouleversé des millions de gens et détruit la vie de 17 familles, elle ne leur aura pas empêché de faire les soldes. (!)

Aujourd’hui, je suis sous le choc.
Sous le choc de constater à quel point les valeurs que l’on m’a inculquées sont parties en fumée.
Sous le choc de constater que l’on puisse tuer pour des idées. Au XXIe siècle.
Sous le choc de constater qu’après la Shoah, après la Rafle du Vel d’Hiv’, après Ilan Halimi, après les victimes de Mohammed Merah, on tue encore des Juifs parce qu’ils sont Juifs.
Sous le choc de la disparition de ces grands journalistes, éditorialistes, dessinateurs. Qui ont accompli leur travail jusqu’au bout avec passion. Cette même passion qui m’anime moi, qui ai voulu devenir journaliste dès l’âge de 6 ans et qui, aujourd’hui, avec beaucoup moins de talent, exerce cette même profession tous les matins du lundi au vendredi, dans un bureau bien moins grand que les titres de journaux dans lesquels ils ont laissé traîner leur plume.

Hasard parmi tant d’autres, ce soir, j’ai enclenché « Running to the Sea » de Royksopp.
Et j’ai entendu ces paroles :

I could hear them howling from afar
I saw them rushing to your car
In a moment all went screaming wild
Until the darkness killed the light.

Je pouvais les entendre hurler au loin
Je les voyais se ruer sur ta voiture
En un instant tout criait sauvagement
Jusqu’à ce que l’obscurité tue la lumière.

Je rêve du jour où la lumière tuera l’obscurité, l’aveuglant jusqu’à lui brûler la rétine.

Clarissa Jean-Philippe
Yoav Hattab

Elsa Cayat
Bernard Maris
François-Michel Saada
Charb
Franck Brinsolaro
Yohan Cohen
Wolinski
Mustapha Ourrad
Honoré
Philippe Braham
Cabu
Frédéric Boisseau
Michel Renaud
Ahmed Merabet
Tignous

Puissiez vous reposer en paix.

View Comments (2)
  • Un texte touchant, une prise de conscience. Merci à eux, merci à vous journalistes, citoyens de prendre la mesure des événements !

    Puissent toutes les réactions s’inscrire dans les esprits comme dans le tiens !

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